Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/109

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Sophronisque au fils de Marie ? Quelle distance de l’un à l’autre ! Socrate, mourant sans douleur, sans ignominie, soutint aisément jusqu’au bout son personnage ; & si cette facile mort n’eût honoré sa vie, on douteroit si Socrate, avec tout son esprit, fut autre chose qu’un sophiste. Il inventa, dit-on, la morale ; d’autres avant lui l’avoient mise en pratique ; il ne fit que dire ce qu’ils avoient fait, il ne fit que mettre en leçons leurs exemples. Aristide avoit été juste avant que Socrate eût dit ce que c’étoit que justice ; Léonidas étoit mort pour son pays avant que Socrate eût fait un devoir d’aimer la patrie ; Sparte étoit sobre avant que Socrate eût loué la sobriété ; avant qu’il eut défini la vertu, la Grèce abondoit en hommes vertueux. Mais où jésus avait-il pris chez les siens cette morale élevée et pure dont lui seul a donné les leçons & l’exemple [1] ? Du sein du plus furieux fanatisme la plus haute sagesse se fit entendre ; & la simplicité des plus héroïques vertus honora le plus vil de tous les peuples. La mort de Socrate, philosophant tranquillement avec ses amis, est la plus douce qu’on puisse désirer ; celle de Jésus expirant dans les tourments, injurié, raillé. maudit de tout un peuple, est la plus horrible qu’on puisse craindre. Socrate prenant la coupe empoisonnée bénit celui qui la lui présente & qui pleure ; Jésus, au milieu d’un supplice affreux, prie pour ses bourreaux acharnés. Oui, si la vie & la mort de Socrate

  1. Voyez, dans le Discours sur la montagne, le parallèle qu’il fait lui-même de la morale de Moise à la sienne. (Matth., cap. v, vers. 21 & seq.).